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Qu’il est triste de ne plus être triste en pensant à toi


J’aimerais tant voir ton visage s’évanouir dans les lents portraits que les nuages dessinent quand mes yeux se tournent vers le ciel.

J’aimerais tant que ton visage cesse de surgir dans le reflet d’une vitrine alors que c’est une autre femme qui regarde.

J’aimerais tant de ton visage perdre le souvenir.

J’aimerais tant que tous les visages de femmes ne soient pas ton unique visage.


Comme il est heureux celui qui peut prétendre regretter de ne plus être triste en pensant à la femme qu’il a aimée. Comment fait-il ?

J’aimerais tant être capable du même exploit, mais je ne le peux pas.


Tu me manques comme tu me manques

Pourquoi es-tu donc partie

Tu étais l’oiseau dans son nid

Une âme à mon âme ravie


Et tu m’as dit ô tu m’as dit

Cent fois que tu étais heureuse

Que j’étais l’homme de ta vie

Celui de ta métamorphose


Et tu m’as dit ô tu m’as dit

Mon corps est à toi je le donne

Sans toi il est imparfait

Car tu m’as faite femme


Et je suis ta femme


Maintenant tu es partie

Et il me manque quelque chose

Ta forme en moi et ton esprit

Comme le souffle en ma poitrine


C’est une main vide qui caresse

Un autre sein que ton sein

Et nulle femme offerte

Ne t’efface une seconde


On me demande : Mais qu’avait-elle de plus, de plus qu’une autre femme ? 

Je réponds : Rien, elle n’avait rien de plus, elle était toutes les femmes.



Ton visage, je voudrais tant le voir aussi banal et usé que la pierre grise des villes.

Ton visage, je voudrais tant qu’il cesse de hanter jusqu’au jour l’ombre de mes nuits.

Ton visage, je voudrais tant que l’aube l’absorbe, l’avale et l’épuise.

Ton visage, je voudrais tant le voir vieilli, ridé comme un de ces fruits gâtés qui répugnent et qu’on jette. Ô femmes, pourquoi toujours votre insinuante et mensongère beauté qui nous captive et nous enchaîne à votre sexe ? Trouble rivière.

Je voudrais tant qu’un soleil ardent brille assez en moi pour brûler ta présence reptile.


Comment as-tu pu cesser de m’aimer ? Depuis, je ne m’aime plus moi-même.


Un jour, peut-être, je m’attristerai de ne plus être triste en pensant à toi. Comme tu le mériterais ! Mais quand ? Quel jour ? J’attends. Que c’est long !...


Albert Pesses