
Vous croyez que j’fais d’la scène parc’que j’aime ça…
Non, pourquoi commencer un texte par non, c’est ridicule !
Non, mais vous croyez que j’fais d’la scène parc’que
J’aime ça ? Enfin si, j’aime ça, j’aime qu’on me
Regarde, parc’que j’ai besoin qu’on s’intéresse à moi,
Qu’on m’applaudisse, applaudissez-moi un peu pour
Voir, non mais vraiment, c’est écrit dans mon texte, je
Viens de l’écrire, applaudissez-moi, merde ! Regardez-moi,
Faites-moi des bisous (smack smack smack) Mais c’est
Vrai, le métier de la scène, j’en ai rien à branler, la
Preuve, j’apprends même pas mes textes ! y’en a qui
Disent : « Mais t’auras plus de rapport avec le public, tu
Lui parleras, tu pourras aller encore plus loin, et
Gnagnagna » ! Mais j’en ai rien à foutre, ça
Me fait plaisir, c’est tout, et puis faut savoir qui on
Est ; moi j’apprends pas mes textes parc’que je suis un
Auteur, et non pas un acteur. Philippe Noiret, à la
Fin de sa vie, a choisi de « LIRE » Victor Hugo,
Parce qu’il voulait restituer pleinement le
Texte et non pas « L’INTERPRETER », ce qui voudrait
Dire qu’il aurait mis de son jeu dans le texte et
L’aurait déformé ; eh ben, moi, c’est pareil ! Je ne
Veux pas déformer mon texte en l’interprétant, ce
Qui le déformerait, moi je suis un auteur à part
Entière, alors je me lis, ouais, ça tombe bien, j’adore
La lecture, depuis le CP, ou j’étais dans la classe de
Mme Moreau, j’adore ça, bon, j’ai attendu vingt-cinq ans
Pour prendre des cours d’interprétations, si bien
Que maintenant je peux mettre des intonations dans
Mes textes, ce qui les rend plus vivant. Depuis le
CP, je me suis vachement amélioré en lecture.
Vous allez me dire : si je veux totalement m’effacer
Face à la beauté de mes textes, je ferai mieux
De vous les donner directement à lire, comme ça
Je serais pas obligé de me déplacer sur les scènes,
Et je pourrai rester chez moi à écrire de
Nouveaux textes, à voyager ou à faire chépa quoi,
Mais voyez-vous, j’aime la scène, lire en scène,
Pour que tout le monde voit que j’ai, j’ai fait
Des pro pro pro progrès en lecture et que je
Ba ba ba, bafouille plus, pour
Etre fier et montrer à Mme Moreau que
Je suis perspicace et que je m’améliore.
Ouais, c’est uniquement pour faire mon intéressant
Que je lis mes textes sur scène. Et l’autre jour
Justement, ça a intéressé une fille ce que je
Disais, ché plus ce dont je parlais, du vent, de
L’eau qui coule, enfin des évidences quoi ; n’importe
Qu’elle connard qui sort dehors, peut se rendre compte
Que s’il y a du vent, en effet il souffle, et si il y
A un fleuve, l’eau, de toute évidence, ben elle coule,
Mais nous, voyez-vous, nous, les poètes, on a que ça à
Foutre, on s’emmerde tellement dans cette société qu’on
Passe des heures, comme un imbécile heureux, à éprouver,
N’est ce pas, le vent souffler, et l’eau couler, et après
On l’écrit, ça passe le temps, et après on le dit aux
Gens, qui font : « Ah c’est génial, il éprouve d’une manière tellement belle » Il
Se fait chier oui ! Bref, l’autre jour, ma manière
D’éprouver, visiblement ça a plu à une fille, qui
Visiblement se fait chier aussi dans la vie, et visible-
Ment, elle aimerait bien aussi éprouver des trucs avec
Moi, ainsi, nous éprouvant l’un l’autre, le
Temps serait peut-être moins long, et nous pourrions
Nous endormir ensemble en nous soufflant
Des mots doux, coulant dans un amour pur.
Voilà, ça sert d’éprouver tous ces mots sur scène.
La lecture de mes épreuves, au bout
De quinze ans, m’a permis de te rencontrer, alors je peux descendre
De scène pour aller te retrouver.
Grégoire Pellequer
