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L' EOLIENNE ET LA COCCINELLE


PRESENTATION

C'est l'histoire d'une éolienne à pales noires, qui...

- Non mais dites donc, vous, l'histoire de la coccinelle passe d'abord, les animaux sont plus importants que les objets !
- Bon, bon, vous savez quand même que sans éolienne, la coccinelle ne serait plus là, alors ?
- Alors commençons par le commencement : les coccinelles existaient avant les éoliennes et on leur doit quand même plus de respect qu'aux objets !
- D'accord et pour vous être agréable, je reprends dans votre sens :

          C’est l'histoire d'une coccinelle avec une livrée tout à fait courante: rouge à points noirs, et celle-ci avait sept points. Vous ai-je dis que parfois on l'appelait Cécile ? Ses amis et connaissances avaient même créé une petite comptine qui les amusaient bien : « Amis sans cécité, voyez-vous cela, sept points noirs qui circulent avec circonvolutions au-dessus des herbes qui sifflent dans les mains des garçons ? C'est Cécile, la Coccinelle ! » Voilà pour notre coccinelle, et puisque j'ai fait l'effort de parler de votre coccinelle, je vous propose de parler de mon éolienne.

          Bien : c'est aussi l'histoire d'une éolienne avec une apparence tout à fait courante, munie de trois pales noires et d'un corps tout blanc, vous voyez je prends le langage de vous autres techniciens ! Aussi je dois rajouter que c'était une éolienne à qui il n'était rien arrivé de méchant: elle n'avait pas coupé d'oiseaux en morceaux, elle avait utilisé les filets du vent sans les hacher menu, elle faisait du bruit gentiment et tournait sans compter son temps comme le font les horloges. Jusqu'à présent aucun nom ne lui avait été donné, aucune personne n'avait éprouvé suffisamment de sympathie pour cela, et surtout il n'y avait pas eu vraiment d'occasion. Voilà, on a chacun présenté le préféré de l'autre, l'histoire va maintenant s'écrire à deux.

 

CHAPITRE UN

          Cécile était née trois ans plus tôt, et cela faisait d’elle une coccinelle âgée. Elle seule aurait pu vous dire que les points noirs sur son dos, c’était juste pour que les hommes se racontent des histoires sur son âge ; avec sept points elle appartenait au clan des coccinelles qui aiment les pucerons, mais avec sept points porte-bonheur, était-elle vraiment chanceuse ? On va bientôt le sa voir. C’était une coccinelle futée qui avait utilisé son bon sens pour que des évènements ordinaires ne se transforment pas en coupe-gorge, pardon, en coupe-coccinelle. C’est pourquoi elle avait toutes ses pattes, antennes, élytres et ailes. Elle avait ainsi échappé à une tondeuse, à une colonne de fourmis quand elle était toute petite, aux insecticides des agriculteurs voisins, et à plein d’autres choses ; elle avait beaucoup de bon sens, certains autres insectes disait même qu’elle pouvait avoir commencé à être intelligente. Forte de ses capacités physiques, elle volait en plus avec beaucoup d’habileté, et avait déjà eu l’occasion d’essayer le vol sur le dos, les tonneaux et les loopings, mais bien entendu elle ne les recherchait pas d’elle-même parce que ça n’était pas là une façon naturelle de voler pour une coccinelle. Elle avait son territoire qu’elle connaissait bien et dont elle faisait le tour en quelques jours. Toutefois, elle aimait bien se retrouver sur le vieux puits en pierre pour passer la nuit, parce que c’était un endroit confortable avec des interstices où se blottir, près duquel il y avait presque toujours de la nourriture, et encore en plus, très calme. Et puis, partant de là, Cécile avait toutes les facilités pour aller et revenir dans une seule journée à tous ses endroits préférés. C’était le quatrième domicile qu’elle avait, car par des journées venteuses, à un an et à deux, elle avait été emportée par les tourbillons du vent sans pouvoir se poser, tellement loin de son domicile qu’elle n’avait jamais pu et su y revenir. Alors pour l’instant, elle l’appréciait, son vieux puits. Justement, ce soir, elle était là, et grignotait quelques pucerons et larves de très bonne saveur ; et puis en profitait pour faire le tour d’une colonie de futures coccinelles, grandes de trois millimètres et qui étaient encore des larves de quelques jours en train d’éviter des fourmis sur un rosier. Le temps était calme, mais le soleil s’était couché derrière un voile de nuages s’épaississant, et Cécile, c’est sûr, n’aurait jamais imaginé la grand aventure qu’elle allait vivre le lendemain.

 

CHAPITRE DEUX

          Pendant ce temps…

          L’homme qui habitait la petite maison, à l’est du puits en traversant la route, s’efforçait d’installer une éolienne contre le mur de sa maison, du côté du jardin, lui-même à l’est. Vous vous demandez pourquoi autant de détails difficiles à comprendre, vous allez comprendre que tout ceci c’est le fond de l’histoire de Cécile et de l’éolienne. Cet homme, Guy, avait peiné pour monter son éolienne faute de trouver près de chez lui ce qu’il faut, mais s’obstinait à la réussir : il ne voulait pas risquer de la perdre dans le premier coup de vent venu, et il fallait aussi qu’elle fonctionne bien : c’est pourquoi il l’avait installée sur son mât, pas trop haut pour ne pas être emportée, et se disant qu’il pourrait toujours la mettre plus haut pour qu’elle tourne mieux après avoir vérifié que tout allait bien. Cette éolienne avait une petite ampoule électrique rouge sous le ventre, qui devait s’allumer quand le vent serait assez fort pour la faire tourner vite, alors elle donnerait du courant. Guy avait hâte de la voir s’allumer : ça serait la récompense de cinq mois d’efforts, après l’avoir sélectionnée dans un catalogue, achetée et installée contre sa maison. Quatre câbles, dans les quatre directions, comme les câbles d’un mât de bateau, la retenaient du vent et il ne fallait pas qu’ils lâchent ! Les dernières heures du montage avaient été difficiles, et Guy redoutait d’avoir fait une erreur quelque part, ou un oubli, sans gravité par beau temps et redoutable par grand vent. Aussi Guy, sachant lire le temps à venir dans l’apparence du ciel, se réjouissait-il de voir le soleil se coucher derrière un voile de nuages s’épaississant vers l’ouest, puisque ceux-ci annonçaient un coup de vent proche. Mais trop fatigué pour vérifier son travail, il alla se coucher avec un peu d’appréhension pour le lendemain.

 

CHAPITRE TROIS

          Le lendemain matin.

          Ce lendemain devait être le jour de la grande aventure de Cécile ; elle fut réveillée par un peu de pluie et des débris venant se briser contre l’abri de son puits. Guy fut réveillé parce que l’éolienne couinait un peu en tournant, trop neuve pour faire son travail silencieusement : un rodage s’imposait. Cécile trouva le réveil sévère et entreprit de s’étirer les antennes, pattes, élytres et ailes consciencieusement comme un sportif olympique faisant face à un grand défi. Guy partagé entre l’espoir de voir arriver le courant et l’inquiétude d’un vent déjà assez fort, ne tarda pas trop à s’habiller pour aller jeter un œil sur son éolienne.

          Cécile commença par faire quelques pas autour du puits, dessus et dessous la margelle, tout en jetant un œil alentour pour trouver des pucerons. Justement, il y en avait dans les rosiers voisins et elle se décida à voler jusque-là. Mal lui en prit ! Juste après le décollage, une bourrasque la plaqua contre les pierres du puits, mais le choc fut heureusement amorti par une épaisse couche de mousse, Cécile tombant ensuite par terre dans les herbes. Cela commençait mal, notre vieille coccinelle comprit que ce serait une rude journée. Deuxième essai pendant une accalmie, elle réussit en zigzaguant à se poser sous une feuille du rosier, puis décidément trop secouée, la tête en bas, elle arriva sans trop savoir comment à se poser un peu plus bas sur la tige du rosier, à l’endroit. A l’endroit ou à l’envers, elle avait du mal à rester accrochée, et son petit déjeuner de pucerons fut vraiment ardu. Cela ressemblait à essayer de manger sans les pattes de devant pour tenir les pucerons tout en ayant la tête qui n’allait pas au même endroit que sa nourriture, bref un calvaire pour une coccinelle affamée. Il fallut un bon moment à Cécile pour être rassasiée et être prête au grand saut dans le vent.

          Pendant ce temps…. Guy ayant entrouvert la porte du jardin et se protégeant de la pluie, essayait de voir si la petite ampoule rouge sous le ventre de l’éolienne s’éclairait : oui, ça fonctionnait ! Le courant devrait donc arriver dans la maison jusqu’aux batteries. La nouvelle valait bien d’être un peu mouillé ! En rentrant, il se prépara à manger, et prit son petit déjeuner bien à son aise : rien ne valait un chocolat chaud, quelques bonnes tartines et un fruit juteux quand dehors le vent soufflait en rafales et que la pluie mouillait tout. Il commença à faire quelques calculs pour savoir quand il aurait assez de courant dans ses batteries pour assurer l’éclairage de la salle de bain et de la cuisine rien qu’avec l’éolienne. Tout cela s’annonçait très bien puisqu’aussitôt l’éolienne installée, elle fournissait du courant normalement qui allait s’accumuler dans les batteries : il avait cru d’abord devoir attendre une ou deux semaines que le petit vent habituel de l’après-midi veuille bien peu à peu apporter son aide. Il était ravi que tout s’arrange aussi bien.

 

CHAPITRE QUATRE

          Cécile, à côté du puits et à quelques instants de s’engager dans un vol qui devait être mémorable, se sentait grincheuse : le temps ne lui plaisait guère, elle n’éprouvait pas l’envie de se mouiller et de risquer des acrobaties dangereuses comme le vol sur le dos, des tonneaux et loopings avec un tel vent, et puis, sans s’en rendre compte, elle devait craindre d’être emportée loin et de ne pas pouvoir revenir. Mue par l’habitude, elle s élance. Le vent d’ouest l’envoie sur sa gauche sans qu’elle puisse y faire quelque chose, et elle entre dans le petit pré du voisin de Guy ; désemparée, elle agitait ses ailes avec la meilleure volonté, mais le vent restait le maître de sa trajectoire, c’est à dire vers l’est. Dès lors, la rencontre de Cécile avec l’éolienne était inévitable, d’autant plus qu’au même instant, Guy eut envie de vérifier de visu le bon fonctionnement de son éolienne. Avec une veste pour le protéger de la pluie et une casquette, il ouvre la porte de son jardinet, ce qui déclenche une extraordinaire bourrasque sur le palier ; il referme la porte assez vite, et commence à sentir et à entendre, à travers la pluie qui le mouille, les feuilles voletant autour de lui, le doux sifflement de l’éolienne au-dessus de sa tête. Elle tournait vite et la petite ampoule rouge brillait bien. Il se décide à monter sur l’échelle appuyée au mur de sa maison pour la regarder de plus près. Cécile traverse alors le jardin du voisin à une vitesse défiant toute concurrence, probablement aucune coccinelle n’avait été aussi rapide à cet endroit depuis la création du monde, et elle fut emportée sur sa droite par une autre bourrasque. Le vent entre les maisons et les arbres faisait des zigzags effrayants et plus rien dans l’expérience de la coccinelle ne pouvait l’aider à aller où elle voulait. Elle désirait surtout rester à l’endroit, au moins. Même cela ne lui fut pas accordé : arrivant devant la maison de Guy, le vent la soulève violemment et la projette vers le toit dans tous les sens, elle réussit tout juste à ne se casser aucune patte ou aile en passant au ras de la gouttière, puis soumise à la même violence, elle traverse la première moitié du toit, et arrive au faîte, à l’endroit, et totalement écœurée. Ce qu’elle vit là ne lui laissait aucune chance : elle fonçait droit sur l’éolienne. Serait-elle découpée en petits morceaux tellement vite qu’elle ne s’en apercevrait même pas ? Guy grimpait sur l’échelle mouillée et cela ne lui plaisait guère. Avec les rafales de vent il avait peur en arrivant sur le bord du toit de se trouver projeté sur le côté par la force du vent, et déjà il glisse un peu sur les échelons. Il fait une pause en se disant que peut-être l’inspection de l’éolienne peut attendre une accalmie du vent. Il lève la tête : l’ampoule rouge est éteinte et il semble même qu’il y a de petites taches noires dessus qui bougent un peu. Que s’est-il passé en deux secondes ? Il décide illico d’aller voir et reprend son ascension. Cécile commence à replier ses ailes et ses élytres, elle n’a pas le temps de s’occuper de ses pattes qu’elle entre par le haut dans le tourbillon des pales de l’éolienne, elle réussit à faire la moitié d’un tour sans être touchée et débouche de l’autre côté des pales, à l’envers, sous l’éolienne, les pattes tendues par réflexe pour essayer de s’accrocher à quelque chose : c’est sur l’ampoule rouge qu’elle tombe. De plus le vent faiblit , ce qui lui permit d’arranger un peu ses élytres rouges à points noirs. Guy en arrivant là-haut s’aperçoit avec stupéfaction qu’une coccinelle était accrochée à l’ampoule et arrangeait ses élytres. Il se dit que sa nouvelle éolienne aurait peut-être la chance tout au long de sa carrière de ne hacher menu que le vent, en somme une éolienne vraiment écologique. Et puis, juste derrière la coccinelle, son regard se porte sur le câble ouest au point où il s’attache au mât, et il voit le nœud spécial se défaire. Dans un quart d’heure tout au plus il lâchera et l’éolienne, comme la coccinelle plus tôt, sera renversée par le vent. Guy se dit qu’il pouvait remercier la coccinelle de s’être posée sur l’ampoule, sans cela il ne serait jamais monté assez haut pour voir le nœud se défaire. Prendre la coccinelle, la mettre sous sa casquette à l’abri, puis aller refaire le nœud lui demanda un certain courage, car les pales de l’éolienne étaient toutes proches et tournaient si vite que l’accident aurait été grave, mais en prenant beaucoup de précautions, il pouvait le faire. Il imaginait la coccinelle à l’abri et au chaud dans ses cheveux et d’ailleurs la sentait qui explorait et cela l’amusait de jouer les sauveteurs. Cécile sentit tout à coup quelque chose l’arracher de l’éolienne, se retrouva mise à l’endroit pour avoir seulement le temps de se voir déposée sur la tête d’un être humain, puis le quasi noir se fit aussitôt, un couvercle venant d’arriver au-dessus d’elle. Dans l’obscurité, elle parcourut le peu d’espace qui lui restait avec la satisfaction de ne plus être emportée par le vent, mais, de par son expérience de la vie, elle se méfiait d’être coincée si près d’un être humain. Il n’y avait pas de sortie, autant se mettre au meilleur endroit pour s’évader dès que le couvercle s’ouvrirait. Guy en rentrant dans sa maison se dit que le meilleur endroit durant la tempête pour une petite coccinelle serait d’être chez lui, et, le soir, dès que le vent tomberait, il irait ouvrir toutes les fenêtres pour qu’elle puisse sortir librement : Dieu seul savait la chance qu’elle avait eue de traverser sans périr les pales d’une éolienne par grand vent, mais pour une bête du Bon Dieu, peut-être cela était-il normal….Plus tard, Cécile retrouva tout à coup la lumière. Il n’y avait plus de couvercle, et saisissant sa chance, elle s’envola. Il faisait bon, il n’y avait pas de vent ni de pluie, ça ressemblait à une maison, ce n’était pas encore la liberté, mais quand on a accumulé autant de savoir, l’optimisme est peut-être normal. Avant que le soleil ne se couche, Cécile trouva une sortie, c’était la porte du jardinet, elle vit l’éolienne arrêtée au-dessus d’elle, et ne sentant plus aucun danger, elle se décida de prendre le chemin à l’envers pour rentrer au puits, elle passa près de l’éolienne, saluée par Guy qui vérifiait, là, avant la nuit, et au calme, ses nœuds sur les câbles. Prenant le chemin de l’ouest par-dessus le toit, la route et le jardin du voisin, elle se retrouva à son cher puits. A son âge, être prise dans un coup de vent qui aurait pu l’emporter loin, rencontrer de multiples dangers, sans compter de changer une cinquième fois de domicile, Cécile n’aurait peut-être pas vécu bien longtemps. Son aventure avec l’éolienne était finalement chanceuse ; sa vie même portait la chance encore une fois ! Et pour l’éolienne, sans Cécile sur l’ampoule, elle se serait cassée dans le vent. Guy acheta une petite boîte avec des morceaux d’ardoises serrés dedans, pour servir d’abri aux coccinelles, et l’installa dans son jardin.

 

FINAL

- C’était l’histoire de l’éolienne et de …
- Ah non, vous n’allez pas recommencer à mettre les objets avant les animaux, quand même ! Est-ce que…
- Ecoutez-moi : cette fois, l’histoire s’arrange bien pour les deux. Chacun a rendu service à l’autre, surtout qu’aucun des deux n’avait l’intention de le faire. C’est une aventure réciproque heureuse, profitons-en : au début de l’histoire on a mis la coccinelle en avant, à la fin on peut mettre l’éolienne en premier, c’est équilibré, non ?
- D’accord, et, comme vous l’avez fait au début pour moi, je vais faire l’effort de me mettre à votre place :

          C’était l’histoire d’une éolienne à pales noires avec un seul point rouge et sans nom, qui a fait gentiment la rencontre de Cécile, une coccinelle rouge à sept points noirs porte-bonheur dont elle a eu grand besoin.


Guy Tardieu