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Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs
Baudelaire


À Nicolas Sarkozy


Ces enfants suppliciés…


Ces enfants suppliciés laissez-les donc tranquilles
Remuer leurs cendres c’est leur faire du mal
Le silence est leur tombe et le suaire amical
Qui les tient à l’abri des sentiments hostiles

Confier à des enfants ces enfants morts en garde
Les faire s’affliger sur des photos jaunies
Risquer qu’à leurs dépens la verve ou l’ironie
N’excitent indûment leur humeur goguenarde

Attirer sur leur nom la curée des mémoires
Permettre qu’on les jalouse ou d’en tirer gloire
Ranimer des démons aux funestes passions 

Ils sont morts une fois on les tue à nouveau
Si on laisse aller de la sorte à vau-l’eau
Leur honneur outragé par votre compassion




DIBBOUK


Je parlerai de toi
A mon père
Comme je lui parle parfois
Bien qu’ il ne me réponde pas
Voix par le feu défaite
Mais il t’habitera
De sa présence muette
Et il vivra en toi
Comme il vit en moi
Dans son sourd cri de souffrance




EAU NOIRE


Alors que je dormais
Je ne sais qui
Par inadvertance
Ou par espièglerie
A versé de l'eau noire
Dans mes rêves
Et depuis
Mon esprit est devenu obscur
Je ne distingue plus bien
Le vrai du faux
Le beau du laid
Ni le jour de la nuit




EN THEORIE


En théorie le marxisme
C’est bien la fin de l’exploitation
De l’homme par l’homme
Des mensonges mystifiants
De la richesse et du rang
Alors pourquoi dans les pays socialistes
Y a des pauvres et y a des riches
Pourquoi y a le goulag
Les cliniques psychiatriques
Où on interne les opposants
Pourquoi les gens sont pas heureux
Là maintenant à mon avis
Dans la pratique ça surprend

En théorie le christianisme
Prêche l’amour et l’humilité
Alors pourquoi l’Eglise
Est-elle toujours complice des puissants
Pourquoi a-t-elle fait couler tant de sang
Qu’on ne peut plus après deux mille ans
Compter les victimes de sa charité
Pourquoi la croix du Fils mourant
S’est-elle changée en épée du conquérant
Pourquoi le Christ précède-t-il le marchand
Enfin il reste les cathédrales
Dans la pratique c’est consolant

En théorie le nazisme
Devait rétablir le Reich millénaire
Et purifier la Race et le Sang
En purgeant la terre des juifs
Des nègres des slaves et des gitans
Il a failli réaliser son plan
L’aigle noir a plané sur tout le continent
Et les SS ont mis à exécution
Les rêves de leur führer dément
Le cauchemar a pris corps et réalité
On n’est pas près de l’oublier
Seulement il faut reconnaître honnêtement
Que dans la pratique Hitler a été cohérent

En théorie les théories
Préparent toutes des temps meilleurs
Pourquoi elles sonnent le glas des gens
Pourquoi périssent les innocents
Pourquoi les cimetières et les charniers
Jalonnent la route tracée par la pensée
C’est nous dit-on un accident
Un dévoiement des textes sacrés
Qui n’altère pas leur pureté
Ouais il serait peut-être plus prudent
D’arrêter de réorganiser la société
A son idée y a des obstacles
Invisibles mais réels cependant
Qui s’opposent dans la pratique aux impatients


ECRIT en 1975



IDENTITÉ


Une question toi
Qu’est-ce que tu t’sens
Juif français ou Français juif

Moi Juif français pourquoi

Ben c’est choquant
Le judaïsme c’est pas un pays
Ni un peuple c’est rien qu’une religion
T’es Français de confession israélite

Enfin j’suis pas croyant

Alors t’es pas Juif
T’es né ici tu parles notre langue
T’as pas d’autre patrie

Si Israël Eh bien vas-y

Bon discutons pas
A ton tour t’es Français breton
Ou t’es Breton français

Moi j’suis Breton

Et toi t’es du sud-ouest français
Ou Français du sud-ouest

J’suis Occitan

Te fâche pas l’autre
Il est Basque français
Ou Français basque

Un Basque

Et toi le dernier
Tu t’sens Français corse
Ou Corse français

Corse

Décidément dans ce pays
Y aura bientôt qu’les Juifs
A vouloir rester Français




KADDICH


(au 25è ANNIVERSAIRE DE LA LIBERATION DU CAMP D’AUSCHWITZ )

Je suis juif
Qu’ai-je à faire me dit-on
Des souvenirs d’autrefois
Œil ardent lèvre amère
Oublie donc un peu tout ça

Que j’abdique ma colère
La peau qui colle à mes doigts
Vous vous figurez peut-être
Qu’on peut renoncer à soi
Vous croyez que les fantômes
Ne murmurent pas tout bas
Leur ombre est dans mon ombre
Leur voix est dans ma voix

C’est leur plainte qui me berce
De son chant mystérieux
Il m’enveloppe de tristesse
Comme un hommage pour eux
En moi passe la détresse
D’un peuple jeté au feu

D’autres vont au cimetière
S’incliner sur leurs aïeux
Moi je n’ai pas à le faire
Mes morts sont dans les cieux

Ils sont dans de hautes stèles
Que ne voient pas tous les yeux
Loin d’une terre cruelle
Qui vomit leurs âmes à Dieu

Je n’ai qu’à lever la tête
Quand le ciel est nuageux
Pour voir planer de doux spectres
Au gré des vents capricieux




LE BADGE


On m'a donné un badge
Quand j'étais un enfant
On m'a donné un badge
Ce que j'étais content

Je l'ai cousu ce badge
À la place de mon cœur
Je l'ai cousu ce badge
Sur mon plus beau vêtement

Il était beau ce badge
Jaune et bordé de noir
Il était beau ce badge
Comme un astre vraiment

La forme d'une étoile
À six branches de surcroît
La forme d'une étoile
Un mot écrit dedans

Un mot de quatre lettres
En caractères gras
Un mot de quatre lettres
Tordues comme des serpents

On avait marqué Juif
Au centre lisiblement
On avait marqué Juif
Sur mon cœur de sept ans

C'est un drôle de cadeau
Qu'on m'avait offert là
C'est un drôle de cadeau
Un passeport étranger

J'ai failli aller loin
Là où d'autres sont allés
J'ai failli aller loin
Et partir en fumée

Je l'ai toujours sur moi
Ce badge en cas de malheur

Je l'ai toujours sur moi
Gravé au même endroit

Je n'en porte jamais d'autre
Bien qu'on ne le voie pas
Je n'en porte jamais d'autre
C'est le seul qui me va

C'est dans cette intention
Qu'on me l'avait donné
C'est dans cette intention
Moi que je l'ai gardé




LE CRIME de DIEU


Les pages de notre vie
Sont comme un calvaire de craie
La nuit a griffonné dessus
Et ce qu'on lit nul ne le sait

C'est une étrange muraille
Qu'ont bâtie autrefois nos aïeux
Un mur des pleurs qui recueille
Nos cris nos larmes nos aveux

Le sang laisse des traces tristes
Qu'on n'efface pas comme on veut
Et la voix des talmudistes
N'est pas montée jusqu'à Dieu

C'est une liqueur amère
Un vin de moût et de fiel
Que l'héritage de nos pères
Il n'a pas le goût du ciel

Et le jour de la déchirure
Quand le Dieu qui leur mentit
Tant de fois à nouveau parjure
Permit qu'on les abattît

C'est ce deuil qui ne s'efface
Ce crime pourtant impuni
Que faut-il donc que l'on fasse
Pour mettre fin au fini




Le secret de l'Eternité

(réponse d’un père à son fils âgé de 6ans)

           Le secret de l'Eternité, Mathias, il n'est pas facile à trouver. Bien des hommes l'ont cherché et l’on chuchote que certains l'ont découvert, mais personne ne les connaît ni ne sait si c'est bien vrai. Tant de légendes ont circulé et se sont mélangées dans la mémoire des hommes. Peut-être que l'une d'elles contient la vérité, mais comment le savoir ? Le secret de l'Eternité, si un homme l'a trouvé, il a pris soin de se cacher. Il est peut-être parmi nous et tu l'auras croisé sans t'en apercevoir. De toute façon, il ne dira rien, car si les autres l'apprenaient, ils voudraient son secret, le lui arracheraient ou le tueraient.
          Il faut chercher autre part, un secret qui soit à la portée de tous les hommes à condition qu'ils sachent le voir. Ce n'est pas la peine de le chercher sur la terre. Sur la terre, il n'y a rien d'éternel. Les montagnes et les rochers, un jour aussi, s'évanouiront en poussière et nul ne saura même où ils étaient situés. Les mers et les océans se videront de leur eau. Les arbres et les animaux périront et il ne restera plus de notre belle planète qu'une croûte froide et déserte. Mais ce sera dans bien longtemps. Les enfants des enfants de tes enfants ne s'en apercevront même pas. Ce sera dans bien plus longtemps. Avant les poules auront des dents et la biche allaitera l'enfant loup. On a le temps.
          Regarde le ciel. Là, les choses durent plus longtemps. Le soleil n'a pas d'âge que l'on puisse compter et la lumière fragile d'une bougie ou d'une étincelle traverse tout l'univers sans périr en chemin. Il faut que tu deviennes étincelle, brin de lumière et déjà ta vie sera presque éternelle. Mais, malgré tout, tu ne seras pas  au bout de tes peines. Il te reste un effort à faire. Seul l'univers est éternel, usant des soleils et des galaxies comme toi tu grattes la peau de tes mains. Ça ne t'empêche pas de rester vivant. L'univers, lui, échappe au temps et à la mort, et si tu veux être comme lui, il faudra chercher à lui ressembler. Je ne sais pas comment.




MODÈLE NON CONFORME


Hélas hélas je ne suis pas conforme
A votre pitié à votre bonté
Hélas je pense à mon idée
Je ne suis pas la victime rêvée

Hélas hélas tous vos slogans
Ne me font ni chaud ni froid
Hélas je ne crois pas vraiment
Que vous êtes nos partisans

Hélas hélas je n’attends pas de vous
La réponse à mes difficultés
Hélas je n’ai pas la manière
D’être un juif à votre goût

Hélas hélas je ne sais pas me taire
Et  vous laisser parler tout votre soûl
Hélas j’ai le mot pour déplaire
Et pour vous faire douter de vous

Hélas hélas quand je prends la parole
J’ai le don de vous énerver
Hélas je ne peux pas exister
Sans que vous en soyez mortifiés

Hélas hélas si tous mes frères
Se mettent à me ressembler
Vous deviendrez nos adversaires
A qui se fier à qui se fier

          1976




Moi je veux qu’on m’aime


Moi je veux qu’on m’aime
De la tête aux pieds
malgré le temps qui passe
Malgré le temps passé

Malgré la peau qui casse
Et le regard voilé
le cheveu qui s’efface
Et les dents abîmées

Je ne sors pas indemne
De ce combat perdu
Nul ne peut sur ce thème
Se prétendre invaincu
 

Mais je veux que l’on m’aime
Malgré tout malgré ça
De cet amour de rêve
Que chacun porte en soi



PLAN DIVIN


Dieu rit dans l’ombre
Y s’marre tout bas
Les hommes vraiment
Le comprennent pas                        
Ils s’imaginent
Des tas d’machins
L’enfer le diable
le mal le bien

La récompense
Le châtiment
Des balivernes
Du boniment

Ils admettent pas
Qu’tout est son œuvre
Qu’il est dans tout
Même en Satan

L’enfant qui meurt
La vie amère
Le riche content
Le crime la guerre

La fille qu’on viole
L’ordure le sang
L’aveugle qu’on frappe
Impunément

Un peuple qu’on brûle
Comme un sarment
Malgré ses cris
Son suppliement

Le ciel hautain
Muet et vide
Quand les larmes
Débordent des rives

Quand s’impose
La loi des puissants
Et que triomphe
Leur rire méchant

Ça ne paraît
Pas évident
Qu’Dieu est sur terre
Qu’il est là-dedans

Y n’ignore rien
C’est sa volonté
Rien ne se fait
Contre son gré

Ça nous échappe
On cherche pourquoi
Ça fait partie
Du plan divin



T'as mal


T'as mal au crâne
C'est pas grave

T'as mal aux dents
C'est pas grave

T'as mal au cœur
C'est pas grave

T'as mal au dos
C'est pas grave

T'as mal au ventre
C'est pas grave

T'as mal aux reins
C'est pas grave

T'as mal au cul
C'est pas grave

T'as mal partout
C'est rien du tout

T'as mal vécu

Tout l'mal est là