RENÉ RÉVEILlIEZ

PARIS


  Paris; ça c'est une ville ! Je vous le dis, moi! Pleine de gens époustouflants! De gens bourrés d'idées, d'occupations, de projets. Pas des gens sans soucis, des gens de peu, mais des gens considérables, c'est certain, ça !
  Paris, ça c'est une ville! Une ville honnête! Une ville modèle, avec des ponts sur son beau fleuve verdâtre. Des ponts, qui ne demandent qu'à être traversés! Des ponts, qui nous prêtent leurs dos, qui feraient presque du charme.
  Des ponts et puis un fleuve qui la traverse depuis son Est jusqu'à son Ouest. Un fleuve pas très propre sur lui, qui laisse flotter généreusement toutes sortes de déjections, d'épluchures, de papiers gras et même de péniches. Des péniches péniblement poussées par d'énormes sabots à moteur, qui crachent leurs résidus de fuel dans un ciel chiasseux, comme les lointains confus d'une peinture de Chassériau. paris
  Un ciel que grattent toutes sortes de clochers, de lanternes, de beffrois, de campaniles, que la grande vague de l'histoire aurait laissés là, comme autant de foutriquets perdus, qu'une marée basse mettrait à découvert.
  À Paris, pensai-je, avec mon estomac vide, mes baskets éculées et mes poches percées, qu'est-ce que les gens ont l'air sympas, bienveillants, remplis d'amour du prochain à s'en faire péter la sous-ventrière! Et les femmes, qu'est-ce qu'elles sont élégantes, parfumées, affairées et importantes! D'ailleurs ici tout le monde a l'air important, comme si cette ville n'était remplie que de ministres, de secrétaires d'état et autres sommités.
  C'est une vraie belle ville Paris! Bourrée de gens importants. Les garçons de café y sont surexcités et méprisants, les taxis flambeurs et mal élevés, les agents de police grotesques. Y a que les marchands de fruits et légumes qui ont l'air humains ici. À croire que la fréquentation des mandarines et des choux-fleurs bonifie le fond glauque de la nature humaine.
  On y voit aussi toutes sortes de travailleurs du textile, sortis dont on ne sait où, plus ou moins chinois, javanais, turco-mongols. Eux ont l'air de vraiment suer. Ils n'ont pas l'air d'avoir le temps de bicher ou de fanfaronner. Ils sont presque tous hagards, pisseux et mal nutris des gens qui connaissent le vrai inconvénient du travail.
  Enfin, il faut de tout pour faire un monde et cette ville semble résumer à elle seule tout le cosmos, qu'elle serre, tendrement enfermée, dans le doux cordon de son périphérique.

  RENÉ RÉVEILLEZ